Casser sa pipe, ça vous parle ?
Coups de cœur
Écrit par : Natacha

Casser sa pipe, ça vous parle ?

695 vues
Connaissez-vous l’origine de cette expression ? Et de toutes les autres contenant le mot "pipe" ? Venez, on vous embarque et on vous en pipe quelques mots !
Voir les commentaires

Un peu d'étymologie :

L'histoire du mot Piper :

Le dictionnaire historique de la langue française* nous renseigne :

Au départ, le verbe piper est issu du latin populaire pipparer, pipare. Au sens de piauler, piailler, glousser. Au moyen-âge (XIIIème siècle), le sens est celui de gazouiller ou jouer de la flûte. Puis piper devient pousser un petit cri, un couinement comme celui d'une souris ou d'un oiseau. Et le mot piper entre alors dans le champ lexical de la chasse. Il désigne le fait d'imiter le cri d'un oiseau afin de l'attirer pour ensuite le chasser.

Le dictionnaire historique de la langue française

Oisillons dans leur niz

L'histoire du mot Pipe :

Le nom pipe, lui, a certainement subi l'influence sémantique du latin médiéval pippa, lui-même dérivé de pippare mais traduisant un tuyau ou un tonneau.

En effet, pipe n'a pas gardé son sens premier de "flûte champêtre" mais s'est vu nommer, par analogie de forme, le "chalumeau" par lequel on boit (à cette époque, chalumeau désignait notamment un tuyau de métal destiné à aspirer le vin), "goulot", "tuyau". Par correspondance avec cette forme oblongue et creuse, il a ensuite servi à désigner une ancienne mesure de capacité pour les liquides, puis une grande futaille (tonneau).

Enfin, par une spécialisation destinée à l'usage le plus courant, il désigne finalement un instrument de fumeur (constitué d'un tuyau et d'un fourneau). Nous voilà renseigné sur l'origine du mot pipe et ses multiples ramifications.

Homme fumeur de pipe

Les expressions :

Comprendre le sens des mots

Les pipelets et les pipelettes :

Comme vu précédemment, piper a d'abord le sens de piauler, glousser. Ce n'est pourtant pas de là que viennent les noms pipelet et pipelette. Ces derniers viennent en fait du nom propre Pipelet, personnage du roman Les Mystères de Paris d'Eugène Sue, un concierge. On ne peut toutefois exclure un usage antérieur comme sobriquet à une personne qui piaille beaucoup. Parti du synonyme de concierge, il désigne aujourd'hui une personne bavarde.

"Ne pas piper mot" est aussi une expression issue de l'affinité entre piper et parler.

Dessin illustrant un concierge

Du pipeau aux dés pipés :

Pipe n'ayant pas gardé sons sens premier de flûte, c'est pipeau qui viendra prendre le relais, en accusant aussi le sens d'appeau. Et de ces deux significations croisées sortira l'expression "c'est du pipeau" pour "c'est du vent", "c'est une tromperie".

Restons dans la duperie quelques instants pour présenter les expressions "piper les cartes" et "dés pipés". En effet, après être rentré dans le champ lexical de la chasse, piper investit le domaine des joueurs de cartes et de dés, dans le sens de "tromper, leurrer".

Et cette fameuse pipe que l'on taille ?

De la désignation de contenant et tuyau, il ne reste pas beaucoup de traces dans l'hexagone mais rappelons tout de même que tuyau se traduit par pipe en anglais !

Et l'expression "tailler une pipe" vient également de là. Un croisement entre l'expression d'origine : "tailler une plume" et l'analogie entre le forme d'un pénis, celle d'une flûte et celle de notre fameux tuyau de pipe qui fera évoluer la formule que l'on connaît aujourd'hui.

Mais alors pourquoi "tailler une plume" ?

La formule remonte au XVIIIème siècle et trouve son origine dans la classe lettrée et libertine de l'époque, avant de se répandre dans toutes les couches de la société. La métaphore porte sur la plume d'oie dont on humectait le bout avec la langue avant de la tailler, opération d'ailleurs souvent confiée au femmes.

Courtisane

Une expression par tête de pipe !

L'expression "par tête de pipe" semble renvoyer aux modèles de pipes Jacob, connue depuis le XVIIIème siècle mais largement popularisés par la fabrique Gambier. L'analogie est faite entre la pipe et la tête, d'où les expressions "se fendre la pipe" ou "en avoir un coup dans la pipe", mais celle qui restera le plus en usage est "par tête de pipe" qui signifie "par personne".

Pipes Gambier, Tête Jacob

Dernière expression mais non des moindres : casser sa pipe

En naviguant sur internet et dans les livres, on retrouve plusieurs origines possibles :

  • A la guerre : sur les champs de batailles des guerres napoléoniennes, les chirurgiens, n'ayant pas d'anesthésiant pour opérer, plaçaient une pipe en terre cuite entre les dents du patient pour qu'il la morde au lieu de crier. Le soldat qui succombait au cours de l'opération laissait tomber sa pipe par terre où elle se cassait.

  • Au théâtre : un acteur qui interprétait souvent le rôle de Jean Bart dans une pièce de boulevard, avait toujours une pipe en bouche sur scène pour interpréter ce personnage. Un jour, au cours d'une représentation, la pipe est tombée, s'est brisée et l'acteur s'est affaissé, mort.

  • Dans la vie quotidienne et chez les marins : on retrouve cette superstition qui veut qu'on ne fume surtout pas la pipe d'un mort (superstition très ancrée -sans jeu de mot- sur les bateaux). Peut-être par affinité avec cette fumée qui, dans certaines régions, à certaines époques, permettait de se connecter avec le monde de l'au-delà.

Marin fumant une pipe

Aucune de ces explications n'est avérée suffisamment convaincante pour être adoptée par tou-te-s. Aussi, le dictionnaire historique de la langue française propose tout simplement l'association suivante : pipe - goulot (vu plus haut) - gosier.

Ainsi "casser sa pipe" qui au départ (XVIIème) voulait dire "enrager, crever de rage" croise des liens de parenté entre les mots, leur étymologie, leur sens, leur usage pour finalement arriver à cette métaphore de la mort.

L'expression "aller/envoyer au casse pipe" provient également de là puisqu'elle signifie "aller au front, à la guerre".

Natacha, La Pipe Rit

Nom d'une pipe mais on a fait le tour !

Presque... ! Et cette dernière alors ? Hé bien apparemment, "pipe" vient seulement ici proposer un euphémisme à "Dieu" afin de ne pas jurer ni parjurer. Voilà, le tour des expressions est terminé. Nous espérons qu'il était plaisant et qu'il vous a permis de culotter quelques réflexions !

* Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d'Alain Rey.
* Phylactère extrait du roman de G. Apollinaire Les Onze mille verges

Ancienne pipe en porcelaine

Partager ce contenu

Produits associés

À lire également

Ajouter un commentaire

Chargement...