Ceci est le premier épisode d'une série intitulée La pipe au féminin
En France, plus particulièrement en Bretagne
On entend pourtant dire -et on lit, ici et là- que nos aïeules fumaient la pipe. Et en effet, on trouve facilement d'anciennes photos ou cartes postales représentant de vieilles femmes fumant la pipe. Constatons qu'il s'agit bien souvent de bretonnes. Est-ce à conclure qu'en Bretagne, les femmes fumaient la pipe plus qu'ailleurs en France ? Ou bien s'agit-il seulement d'un plus grand nombre de témoignages en images ?
Peut-être des breton-ne-s pourront nous éclairer sur cette subtilité ?
Ce qui est certain, c'est que fumer la pipe pour une femme était a priori beaucoup plus banal et répandue il y a un siècle que de nos jours.
Autour du monde
Lorsque j'entends "femmes fumant la pipe", mon esprit s'évade vers des contrées exotiques : en Afrique ou en Amérique, je m'imagine ces femmes qui vivent et travaillent dehors, au soleil de la savane ou dans les steppes d'Asie, je vois les rides qui racontent une vie, une histoire, une culture, et au coin de la bouche, une pipe du quotidien.
Je commence alors à naviguer sur la toile et se succèdent différentes images et leur légende : une femme Pondo en Afrique du Sud, une Amérindienne, des femmes du Laos, de Birmanie...
Mon imaginaire était donc (au moins en partie) fidèle à la réalité. On dirait bien que dans les pays en développement, ou chez les peuples racines, les pipes n'occupent pas la même place que dans les pays occidentaux. Pour autant, il est très difficile de trouver des informations concrètes à ce sujet, et encore moins des infos contextualisées qui nous permettrait de retracer cette habitude chez les différents peuples, et notamment auprès des femmes. Par exemple, une thèse de MH Daviau sur les pipes de pierres au Canada (du XVIIème au XIXème siècle) nous indique que dans certaines cultures autochtones, les femmes et les enfants ne fumaient pas les mêmes pipes ni le même tabac que les hommes et il existe également des cultures où la femmes fume peu ou pas du tout.
Qu'en est-il par chez nous ?
Revenons quelques décennies en arrière...
L'INA nous partage cet aperçu d'un club de femmes qui se réapproprie cet objet masculinisé. On est en 1957 au Trou Madame et ce club privé parisien, avec ses cartes de membre, accueille les femmes qui fument la pipe, en faisant un accessoire moderne et féminin des tenues de ville comme de soirée. Sous le regard des personnes présentent au club, certaines femmes défilent, proposant la pipe comme un accessoire de tenues habillées: une pipe d'après-midi (plutôt fine et droite) assortie à un ensemble tailleur. Ou cette pipe à long tuyau qui siera parfaitement aux robes de soirée les plus raffinées.
ITN en 1962 : interview d'une femme fumant la pipe dont le nom ne sera pas cité lors de l'entretien. Cette dernière cite un rapport médical sorti la même année expliquant que fumer la pipe est moins dangereux que fumer la cigarette. Il apparait d'ailleurs que ce rapport a permis une hausse d'achat de pipes auprès d'un public féminin.
Une autre archive de l'INA très intéressante nous présente Ruthy Versailly (difficile de nous assurer de l'orthographe du nom), interviewée car elle fume la pipe. Femme très chic, elle répond aux questions un sourire (et une pipe) au coin des lèvres. Ainsi, au journaliste qui lui demande si elle n'aurait pas le sens de la provocation et qui aimerait savoir pourquoi elle fume la pipe, cette dernière lui répond tout naturellement que "c'est élégant et pourquoi pas ?".
Ruthy possède juste assez de fantaisie et de culot pour créer ses propres modèles avec diamants, et les utiliser, se fichant bien de ce que les autres en penseront. Elle affirme que beaucoup de femmes ont fumé la pipe dans l'Histoire, mais que beaucoup se sont cachées. Nous sommes en 1975 et cette femme est à part. Dans un sens, elle ose et s'approprie un objet masculin pour le féminiser. Dans un autre sens, c'est seulement parce qu'elle le féminise qu'elle ose se l'approprier.
"Seul la pipe est féminine !"
Ruthy Versailly
Qu'il est délicieusement intéressant de se plonger dans ces anciens reportages et interviews. Ces pépites sont éparses et très difficiles à contextualiser, mais il apparait qu'à partir des années 50, la pipe s'est régulièrement frayée un chemin jusqu'au femmes sans toutefois aboutir à une féminisation ancrée de cette pratique. Peut-être simplement que, tout comme pour les hommes, les pipes se sont raréfiées ces dernières décennies, ou peut-être que la masculinisation de l'objet ne permettait que difficilement qu'il ait sa place auprès du public féminin sur le long terme.
"On notera dans les interviews que le point de vue de l'homme et/ou du mari revient toujours à la bouche du journaliste, comme une donnée principale et non une question annexe. Que voulez-vous, nous sommes en 1962 (les femmes ne peuvent pas encore travailler, ouvrir un compte bancaire ou signer un chèque sans l'autorisation de leur mari), et en 1975 (il faudra attendre encore 8 ans pour que soit inscrit dans la constitution* l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes- à noter qu'encore de nos jours, ce n'est pas une réalité concrète établie)."
Natacha, La Pipe Rit
Dans le prochain épisode de la série "La pipe au féminin", nous continuerons notre investigation sur les fumeuses d'aujourd'hui.
* A noter qu'un première loi sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes date de 1946 mais celle qui est citée ici est la loi Roudy.
Par Elisabeth 10/05/2025 20:09:27
Intéressant ! Pour les époques avec leurs contre-cultures et le marketing qui y voit une porte d'entrée, ça se devinait déjà à travers celui des cigarettes, en parallèle. Avec toute une façon de raconter le produit et de le projeter dans un contexte ! On a presque envie d'avoir les chiffres, surtout avec l'argument de la dangerosité (petite réminiscence des "tabacs préférés des médecins!" point d'exclamation compris"). Je garde l'article de côté, ses pistes d'ouverture sont pas mal !